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Délit de solidarité...

dimanche 13 novembre 2016.
 
Délit de solidarité...
Deux militants qui ont aidé des réfugié-es dans la vallée de la Roya, sont traduits en justice pour ce délit de solidarité.
La Cgt-Educ'Action les soutient et appellera aux actions de soutien qui seront organisées... Voici  les 2 textes qu'ils ont écrit... Parce qu'il ne faut pas opposer les misères mais les combattre, leur combat est le nôtre...

Textes des prévenus 
 
« La vallée de la Roya, connue par l’emblématique «Vallée des Merveilles», serpente sur les territoires français et italien à l'image de l'Europe : image ou mirage de Liberté, d’Egalité et de Fraternité portée à  un peuple oppressé par des dictatures, des guerres, où l'implication de nos Etats impacte la condition humaine dans ces pays.
 Des femmes, des enfants, des hommes, chassés par la guerre et la dictature, chassés de leur pays, de leur ville, leur quartier, leur famille, traversant désert et mer, finiront pour beaucoup par appartenir à cette « mer au milieu des terres », accueillant à elle seule la plus grande et la plus morbide des destinations.
 Les plus chanceux arrivent enfin sur la terre «des sages», « doués de raison et de conscience, agissant les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».
Terre connue pour ses valeurs fondant notre République, notre fierté; valeurs où le droit humain, la famille, l'enfant sont au sommet de la hiérarchie des droits.
Nous avons été éduqués par et pour ces valeurs.
Et voilà que nos fondamentaux s’ébranlent à la vue de quelques milliers de réfugiés en Europe.
 En vallée de la Roya, nous sommes las d'être spectateurs de cette crise humanitaire orchestrée par nos élites politiques, synthétisée par les accords de Dublin, accord confortant une politique populiste et irresponsable.
 Des hommes, des femmes, des enfants, marchant des jours et des jours au péril de leur vie, ils tentent de passer la frontière, sur les chemins, sur la voie ferrée, l'autoroute, frôlés par les camions, les trains, et parfois percutés. Ces gens tentent de rejoindre femme, frère, mari, cousin, ou amis  en Allemagne, Suède, Angleterre… La frontière est fermée aux Humains, non aux marchandises sous prétexte de crise. Mais qui est réellement responsable de cette crise ?
 Alors quoi faire ?
A qui appartient le devoir d’agir ? Est-ce à nous simples citoyens de nous substituer un devoir d'Etat ?
Quelle est la réponse des pouvoirs publics à nos actions ?
Nous nous sentons impuissants et à la fois responsables.
En leur portant secours nous avons enfreint la loi, non par irrespect de la justice, mais pour que la condition humaine prône avant tout.
Parmi nous, des acteurs solidaires aux réfugiés sont menacés de 5 ans d'emprisonnement
et de 40 000 euros d'amende pour avoir porté assistance à des femmes, enfants et jeunes hommes mis en danger par l'entrave à la libre circulation sur le sol européen. Le désengagement des pouvoirs publics face à cette crise humanitaire, qui bafoue ainsi le droit international, la Convention de Genève et les droits de l'Homme, nous amène à agir et nous avons agi. »

 Cédric Herrou

Pourquoi j’ai aidé des réfugiés

 
            J’ai 45 ans et 2 enfants. Je suis fonctionnaire de l’Éducation Nationale, Ingénieur d'Étude dans un laboratoire de recherche du CNRS / Université Nice Sophia Antipolis. Je suis également enseignant au département de Géographie de la Faculté des Sciences et Membre du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Je n'étais pas jusqu’à présent militant politique ou associatif.

Dans ma famille on est Corse. J’ai passé toutes mes vacances au village dans la maison de mon grand-père, le médecin du canton qui faisait ses visites à cheval. Au village, presque 50 ans après sa mort, les gens en parlent encore car que ce soit en pleine nuit à l’autre bout du canton, que ce soit un bandit blessé ou un paysan qui n’ait pas de quoi payer, il soignait. Dans les récits que me racontait mon père et dans les 
expériences que j’ai vécu là-bas, j’ai appris et compris qu’on ne laisse pas quelqu’un en danger sur le bord de la route, d’abord parce que c’est  la montagne mais aussi parce que c’est une question de dignité. Ou d’honneur comme on dit.

J’ai la chance d’avoir des enfants et en tant que père avec la garde partagée, j’ai pris cette tâche pas évidente très au sérieux. Pas évidente car aujourd’hui le monde va mal que ce soit d’un point de vue social ou environnemental alors au delà d’une “bonne situation”, ce que je souhaite pour mes enfants, c’est qu’ils soient l’espoir d’un monde meilleur.
Le Dimanche 16 octobre en rentrant en voiture de la fête de la brebis à la Brigue avec ma fille de 12 ans, nous avons secourus 4 jeunes du Darfour. Ce village français est dans la vallée de la Roya qui est frontalière de Vintimille en Italie. C’est dans cette vallée que sont régulièrement secourus hommes mais surtout femmes et enfants qui se trouvent sur ces routes de montagnes et qu’on appelle migrants. Ces 4 jeunes étaient complètement perdus et se dirigeaient à pied, certains en bermuda, vers les montagnes enneigées. Avec ma fille on les a ramené à Nice, ils ont mangé et dormi avec nous dans mon appartement de 40m². Le lendemain comme tous les jours d’école nous nous sommes levés à 6h15. Ils sont venus avec moi déposer ma fille à l’école puis je les ai déposé dans une petite gare peu surveillée par la police et je leur ai payé un billet de train pour la première partie du trajet. Ils devaient retrouver leur famille à Marseille.
C’était ma première action de secours envers ces “migrants”. Pourquoi je l’ai fait ce jour là ? Jusqu’à présent avec mes enfants j’avais déposé des vêtements à la croix rouge à Vintimille, des chaussures, un sac à dos, pour aider mais aussi pour leur montrer qu’il y a des injustices dans le monde et que chacun de nous peut faire quelque chose... Là c'était la deuxième fois que je voyais un groupe sur le bord de la route. La première fois j’avais hésité, je n’avais pas eu le courage, mais cette fois ci il y avait ma fille et j’ai pu lui montrer l’exemple.
Le lendemain lundi 17 octobre, après une soirée chez des amis dans cette même vallée, sur le retour vers Nice, je décide de m'arrêter dans ce camp pour migrant à St Dalmas de Tende, un bâtiment désaffecté pour colonies de vacances de la SNCF qui a été ouvert en urgence quelques heures auparavant, sans autorisation, par un collectif d’associations dont la Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International et un tas d'associations nationales et locales. L’ouverture de ce lieu à fait l’objet d’un communiqué de ces associations dans les médias. Je sais bien que mon retour vers Nice est une opportunité d’en sortir quelques-un de ce lieu sans eau ni électricité et ou la température en pleine nuit ne doit pas dépasser 10 degrés. Je décide d’en ramener chez moi et de les déposer à la gare le lendemain.
 Ce sont 3 filles qu’on vient d’aller chercher à l’étage. Elles sont contentes de ma proposition me dit-on car elles sont attendues par une association à Marseille pour être soignées. Quand je les vois mon coeur se déchire. Elles ont peur, elles ont froid, elles sont épuisées, elles ont des pansements aux mains, aux jambes, l’une boite en faisant des grimaces de douleurs et l’autres ne peut pas porter son sac avec sa main blessée. J’apprendrais plus tard que l’une d’elles est la cousine de la jeune fille tuée sur l’autoroute vers Menton quelques semaines avant. Elles ne parlent ni français, ni anglais. Il faut marcher une centaine de mètres pour rejoindre ma voiture et cela prend très longtemps car l’une marche très difficilement. J’en profite pour essayer de savoir de quel pays elles sont. Erythrée. Une fois dans la voiture, je constate qu’elles n’ont jamais utilisé de ceinture de sécurité. Je suis dans l’embarras de m’approcher d’elles qui ont peur pour leur mettre la ceinture. Elles n’ont pas peur de moi mais dans leurs yeux je lis qu’elles savent que rien n’est gagné. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’au long des 6000 km qu’elles ont fait pour arriver jusqu’ici, elles ont fréquenté la mort et le cortège d’horreurs qu’on n’ose imaginer. Je démarre avec à mon bord ces filles dont je dois prendre soin et que je dois amener à bon port. J’éteins la radio, la situation est suffisamment incroyable.
Nous n’arriverons pas à Nice. Au péage de la Turbie les gendarmes nous arrêtent et nous conduisent à la Police de l’Air et des Frontières. Ils m’ont séparé des Érythréennes. Ce n’est pas clair ce qu’ils ont fait d’elles mais je ne crois pas qu’elles aient été soignées. Elles auraient été renvoyées au sud de l’Italie comme ça se fait souvent. Les policiers m’ont dit qu’au moins l’une d’elle était mineure. Je n’ai pas réussi à les protéger.
 Après 36h de garde à vue, j’ai été libéré sous contrôle judiciaire. Ma voiture a été saisie ainsi que mon téléphone et je n’ai pas le droit de quitter Nice sauf pour emmener mes enfants à l’école mais il n’y pas de transport en commun à moins de les réveiller à 5h30 du matin. Mon procès est renvoyé au 23 novembre 2016 à 13h30 à la même audience que Cédric Herrou membre d’associations humanitaires qui est également poursuivi pour avoir aidé des étrangers.
Le lendemain de ma libération, alors que, coup du sort, j’effectuais un point de compression sur un accidenté de la route qui se vidait de son sang en bas de chez moi, un “jeune migrant” est mort percuté par une voiture sur l’autoroute à Menton, il a été projeté par dessus le parapet du viaduc et a fait une chute de plusieurs dizaines de mètres. Venu du bout du monde, perdu sur l’autoroute et mort à 20 km de chez moi.

Mon geste n’est ni politique, ni militant, il est simplement humain et n’importe quel citoyen lambda aurait pu le faire et que ce soit pour l’honneur de notre patrie, pour notre dignité d’hommes libres, pour nos valeurs, nos croyances, par amour ou par compassion nous ne devons pas laisser des victimes mourir devant nos portes. L’histoire et l’actualité nous montrent suffisamment que la discrimination mène aux plus grandes horreurs et pour que l’histoire ne se répète plus, nous devons valoriser la solidarité et éduquer nos enfants par l’exemple.
Pierre-Alain Mannoni