LE SOCLE COMMUN UNE VIEILLE
HISTOIRE
Depuis la rentrée 2010, l’approche par compétences (APC) tente de s’imposer en France à travers le Livret Personnel de Compétences (LPC) qui est obligatoire pour tous les élèves de 6 à 16 ans.
Selon les académies et les circonscriptions, la pression sur les personnels est plus ou moins forte. Ce LPC, adossé sur les programmes de 2008 peut être analysé et critiqué selon plusieurs angles:
- syndical, avec la surcharge de travail et la modification de l'organisation du travail;
- pédagogique, avec la question de la pertinence tant du fond que de la forme de ce livret;
- politique enfin, avec la question de l'origine et du fondement théorique du LPC.
C'est ce dernier angle que nous aborderons à travers notamment les décisions éducatives menées au sein des institutions européennes.
Vingt-cinq années de
gestation en quelques dates:
-
1983: création du puissant
lobby patronal de la Table Ronde Européenne des industriels
(ERT).Ce groupe de
pression rassemble une quarantaine des plus puissants dirigeants de
l’industrie
européenne. Son travail consiste à analyser les
politiques européennes dans
divers domaines et à formuler des recommandations
correspondant à ses visées
stratégiques.
-
1986 signature de l’Acte
unique :l'article 149 stipule que « La
Communauté contribue au
développement d’une éducation de
qualité » mais toujours en « respectant
pleinement la responsabilité des États membres
pour le contenu de
l’enseignement et l’organisation du
système éducatif »
-
Fin 1989, un
« groupe
de travail éducation » de l’ERT
publie un rapport intitulé « Éducation
et compétence en Europe ». Ce
sera le premier d’une longue série de
documents affirmant « l’importance
stratégique vitale de la formation
et de l’éducation pour la
compétitivité
européenne » et
prônant « une
rénovation accélérée des
systèmes d’enseignement et de leurs
programmes ».
On y lit notamment que « l'industrie n'a
qu'une très faible influence
sur les programmes enseignés »,
que les enseignants ont « une
compréhension insuffisante de l'environnement
économique, des affaires et de la
notion de profit » et qu’ils « ne
comprennent pas les besoins
de l'industrie »
-
1992 : Entrée en vigueur du
traité de Maastricht. Création de la DGXXII, la
Direction Générale de
l'Éducation, de la Formation et de la Jeunesse, au sein de
la Commission
européenne.
-
1996 : Publication du Livre
Blanc « Enseigner et apprendre : vers la
société cognitive »
-
23 et 24 mars 2000 : Sommet
de Lisbonne, les ministres nationaux de l'Éducation
avalisent officiellement
les projets la DGXXII. Nom de code :
« e-Learning ».qui vise
à « mobiliser
les communautés éducatives et culturelles ainsi
que les acteurs économiques et
sociaux européens
afin d'accélérer
l’évolution des systèmes
d’éducation et de formation ainsi que la transition de
l’Europe vers la société de la
connaissance »
-
2008 : Réforme des
programmes de l'Éducation nationale. Ils sont
considérés comme réducteurs et
rétrogrades par la majorité des acteurs de
l'éducation.
-
2010 : Le LPC devient
obligatoire pour tous les élèves de 6
à 16 ans.
Les grandes orientations
Les axes principaux du discours
européen sur
l’éducation peuvent se résumer en
quelques mots: compétences, apprentissage
tout au long de la vie, TIC, dérégulation, lien
avec les entreprises,
diversification, harmonisation, mobilité,
citoyenneté, lutte contre
l’exclusion.
Mais sous ces formulations, dont
certaines
peuvent sembler familières aux enseignant-e-s que nous
sommes se cache une
conception particulière de l'Éducation. Ainsi la
citoyenneté se traduit par l'instruction
civique et morale (programmes de 2008) en France, et par des
compétences
« sociales » relatives
à « l'esprit
d'entreprise » au
niveau européen.
Un contexte économique
particulier
La politique éducative
européenne naît et se
développe dans un environnement économique et
social qu’il faut bien prendre en
compte si l’on veut en comprendre la cohérence et
la logique. Cet
environnement, se caractérise par l’exacerbation
des luttes concurrentielles à
l’échelle mondiale, le recours
accéléré à
l’innovation technologique et la
dualisation sociale.
Sur l'instabilité du monde
économique, il n'est
qu'à se souvenir des milliers d'emplois détruits
dans note pays suite aux
diverses fusions restructurations et autre
« licenciements
boursiers ». Eton somme l'École de
fournir des travailleurs adaptables à
ce monde du travail.
L’école au
service de la compétition économique
Si l’on admet le postulat
que la compétition
économique est le seul, ou en tout cas le meilleur mode de
régulation des
activités humaines quelles qu’elles soient
– et telle semble bien être
aujourd’hui l’idéologie dominante dans
les cénacles européens – on ne
s’étonnera pas que l’enseignement,
à son tour, soit pensé essentiellement comme
un moyen de soutenir la compétitivité des
entreprises. En matière de politique
éducative, cela signifie aujourd’hui trois
choses : (1) assurer la qualité
du capital humain par une adéquation optimale
école-économie, (2) utiliser
l’école comme levier pour soutenir les
marchés émergents et (3) se positionner
dans la conquête du marché de
l’enseignement.
Et la réponse à
la dualition sociale (20% de
cadres et 80% d'exécutants pour aller vite), sera une
dualition scolaire. Le
socle commun pour le grand nombre, les études
supérieures pour les autres.
Du rôle de la Commission
européenne
Depuis la fin des années
80, on assiste à une
intervention croissante de la Commission européenne dans la
sphère éducative.
L’orientation majeure de cette intervention est de stimuler
une politique
d’enseignement commune, dont les ambitions sont clairement
d’ordre économique.
Les États
européens se laissent-ils donc mener à
la baguette par la Commission ? L'inscription des politiques
éducatives
dans un cadre européen permet de limiter les
éventuelles prises de positions de
tel ou tel autre ministre de l'Éducation contre ce type
d'éducation qui répond
aux exigences des lobbies patronaux. Mais elle permet aussi
à d'autres, à
priori en accord avec ces politiques de faire face à
l'opposition de leur
opinion publique en se réfugiant derrière
« nos engagements
européens » et en promettant de
« défendre nos
spécificités ».
La Commission européenne permet donc à beaucoup
de mener tout haut les
politiques qu'ils souhaitent tout bas.
Une
vidéo:
Dans le film « Le cartable de Big Brother » (1999), Francis Gillery amorçait son enquête sur la vaste entreprise de démolition du système public d’éducation et de la culture (via la complicité active des médias). Comment, petit à petit, en influençant les gouvernements, les Etats et l’opinion, et en s’immisçant dans les moindres rouages de la vie sociale et intellectuelle, on en arrive à uniformiser le savoir, à appauvrir l’enseignement et à tuer dans l’œuf l’esprit critique ; comment on en arrive à confisquer le débat public en camouflant par exemple les négociations en cours à l’OMC visant à libéraliser les services publics et les institutions.
http://video.google.fr/videoplay?docid=7194650463977751860&q=genre%3APOLITCAL#
SOURCES:
Pour l'essentiel, cet article est un résumé de Nico HIRT (2002): L'Europe, l’école et le profit. Naissance d’une politique éducative commune en Europe
(http://www.skolo.org/spip.php?article55 )
Sur ces sujets, on consultera avec profit le site de l'APED : L'École Démocratique (http://www.skolo.org )